07/07/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Mangez végétarien, c’est chic !

01/11/2007
C’est frais, c’est sain, c’est végétarien.

>> Alors que les gens accordent une attention croissante à leur santé, on ne mange plus végétarien uniquement pour observer une pratique religieuse: c’est en train de devenir une mode

La cuisine végétarienne a longtemps eu la réputation, méritée ou non, d’être terne et sans goût. Mais à Taiwan, cela fait un moment que ce n’est plus le cas. Depuis les établissements huppés jusqu’aux stands de rue, on compte 4 000 restaurants spécialisés sur l’île qui nourrissent 1,7 million de végétariens, tandis qu’une très large gamme de plats ou produits à cuisiner est disponible dans les magasins d’alimentation et les supermarchés.

Si bien que pour ceux qui évitent la viande aussi, Taiwan est un paradis culinaire. Hsieh Kuo-cheng [謝國正], végétarien depuis 17 ans, a vécu à New York, à Los Angeles, à Singapour et à Hongkong. Et pour la cuisine végétarienne, il n’y a rien de mieux que son île, affirme-t-il : « Comparativement, Taiwan a la plus forte densité de végétariens. Le choix culinaire est donc plus étendu ici, les aliments plus frais et aussi beaucoup plus créatifs. »

Selon le rapport 2007 sur les modes d’alimentation à Taiwan publié par le ministère de l’Agriculture, les végétariens réguliers et occasionnels représenteraient 14% de la population taiwanaise, soit un nombre en augmentation de 2% par rapport à l’année dernière.

En englobant les fournisseurs en amont, les fabricants, les restaurants et les détaillants, le chiffre d’affaires du secteur serait aujourd’hui de 4 milliards de dollars taiwanais, avec une production à 60% destinée à l’exportation. Une large population végétarienne à Taiwan a ainsi permis la naissance d’une industrie alimentaire de taille, à tel point qu’une cantine proposant des plats sans viande peut être un critère de choix pour certains par ents lorsqu’ils choisissent une crèche ou une école maternelle.

L’art de l’imitation

Le végétarianisme n’est pas récent à Taiwan. Historiquement, il est lié au bouddhisme.

Les religions, telles que le bouddhisme ou le taoïsme, sont ici très vivantes et, à l’occasion des cérémonies religieuses taoïstes, notamment celles organisées pour prier les dieux les plus puissants, les offrandes doivent être composées de mets riches, avec trois ou cinq sortes de viande, comme par exemple un cochon ou un poulet entier.

Bien sûr, les végétariens sont également soumis à l’obligation de faire des offrandes, mais ils peuvent confectionner des plats imitant la viande. Les techniques culinaires requises pour ce type de préparation semblent ainsi être à l’origine de l’excellence locale en matière de cuisine végétarienne.

Les bouddhistes fervents ne consomment ni viande ni œufs, ni aucun aliment susceptible d’accroître le désir comme, par exemple, les poireaux, la ciboulette, les oignons, l’aïl ou les boissons alcoolisées. Les adeptes de l’Ikuan Tao suivent un régime alimentaire similaire, sans cependant que les œufs en soient exclus.

Les produits laitiers sont admis, parce qu’ils ne sont pas censés aller à l’encontre du principe de non-violence qui impose le re spect de toute forme de vie. C’est ce même principe qui incite beaucoup de bouddhistes à s’abstenir de consommer de la viande en permanence ou pour une période de temps déterminée, soit entre six et dix jours chaque mois, soit lors du premier et du quinzième jour du mois lunaire.

La cuisine végétarienne s’est considérablement sophistiquée depuis les cinquante dernières années. Elle s’inspire principalement de la culture gastronomique chinoise. Mais la confection d’un plat de résistance sans viande ou poisson, ni oignon, ni aïl requiert de la créativité.

Les végétariens ont traditionnellement recours à la production de substituts : le goût et la texture de n’importe quel plat à base de viande, que ce soient des boulettes de bœuf, une soupe aux ailerons de requin, du pot-au-feu au mouton ou d’autres plats tels que celui que l’on nomme Bouddha saute par-dessus le mur, peuvent être reconstitués à partir de farine, de soja, de champignons et de konjac.

Il est d’ailleurs ironique de constater que la qualité d’un plat végétarien s’évalue en fonction de sa proximité gustative avec le plat imité. A partir de cette idée d’imitation, c’est toute une variété de produits, en passant par les saucisses et les jambons végétariens, qui a pu être commercialisée.

Ten-In Food, un fabricant de produits alimentaires, est titulaire de la certification internationale ISO22000 relative à la sécurité alimentaire. C’est aussi un bon exemple du développement de l’industrie de la cuisine végétarienne à Taiwan.

La firme a démarré en 1985 comme traiteur, proposant une cuisine végétarienne à la chinoise pour les fêtes et banquets. Pour Ten-I, la préparation d’un banquet de plusieurs centaines de tables n’est pas rare. La renommée de la société lui a permis de décrocher des commandes exceptionnelles, dont celle, l’an dernier, d’un repas marquant le 60e anniversaire de l’ccession au trône du roi de Thaïlande, organisée dans un temple par des bonzes.

La société bénéficie en effet de la réputation de rendre le mode d’alimentation végétarien plus facile à vivre, sans pour autant sacrifier les plaisirs de la table.

Créer de nouveaux styles

« On considérait autrefois que la cuisine végétarienne n’avait pas bon goût, mais ces travers ont été corrigés il y a longtemps déjà. Nous n’utilisons pas d’exhausteurs de goût artificiels, de colorants ou de soja génétiquement modifié. L’expérience nous a appris comment combiner différents ingrédients pour créer des plats délicieux », explique Arwin Yu [余雅文], l’un des proches collaborateurs du directeur général de Ten-In.

Pour répondre à la demande, Ten-In s’est doté en 1999 d’une usine qui produit aujourd’hui plus de 200 variétés de produits sous vide, depuis les steaks végétariens jusqu’aux soupes en passant par les ingrédients pour la fondue chinoise et les fausses boulettes de viande.

Arwin Yu explique que beaucoup de végétariens à l’étranger ne se nourrissent que de crudités, ce qui n’est pas forcément très nutritif, et il recommande un plat supplémentaire qui soit riche en soja . « En plus du soja, déclare-t-il, nous utilisons aussi des farines pour préparer des plats ressemblant au poisson ou aux hotdogs. »

Et pour répondre de manière particulière aux préoccupations des croyants, Ten-In, comme beaucoup d’autres sociétés ou restaurants à Taiwan, interdit formellement à tous ses employés d’introduire des aliments non végétariens sur leur lieu de travail. « Nous insistons beaucoup sur ce point, assure Arwin Yu , parce que la plupart de nos clients, à Taiwan comme à l’étranger, sont végétariens pour des raisons religieuses. »

Ten-In entretient une conception traditionnelle de ce que doit être la cuisine végétarienne. A l’autre bout du spectre de l’innovation, on trouve Jen Dow Vegetarian Buffet (JDVB). Premier restaurant en 1982 à proposer à Taiwan un buffet végétarien de style européen, il a suscité beaucoup de vocations.

Ses buffets à volonté offrent une variété de plus de 200 plats au choix, sans viande ni œufs, allant des raviolis vapeur de Hongkong aux sashimis japonais en passant par les classiques de la cuisine thaïlandaise épicée et les pâtes et pizzas italiennes, jusqu’aux spécialités taiwanaises, bien sûr.

A 600 dollars taiwanais par personne, JDVB pratique le même prix que les restaurants ordinaires. Alors que la cuisine végétarienne a la réputation d’être moins chère que les autres, JDVB a inauguré là un nouveau modèle d’entreprise. « Au début, dans cette branche, personne ne pensait possible de vendre plus cher de la cuisine végétarienne, se rappelle Kuo Fang-liang [郭芳良], le président du JDVB. Notre formule a tellement bien marché que beaucoup de restaurants du centre et du sud de Taiwan ont fini par nous imiter. Mais ils ne copient que l’idée, parce que certains utilisent des ingrédients de piètre qualité, les plats sont donc mauvais et terminent souvent à la poubelle. »

Pour toucher une clientèle large et diverse, Kuo Fang-liang ne vise pas particulièrement les pratiquants d’un culte, et aucun de ses restaurants ne cultive d’ambiance religieuse. « Dîner doit rester un plaisir. On ne diffuse pas de musique bouddhiste, et on ne tente pas de recréer ce type d’atmosphère, explique-t-il. Au contraire, nous mettons l’accent sur le bien-être et adhérons à des principes diététiques : faible teneur en lipides, mets peu caloriques et beaucoup de fibres. »

En plus d’une chaîne de restaurants à Taiwan, JDVB est maintenant implanté en Chine. L’entreprise a prouvé que la cuisine végétarienne pouvait être un style de cuisine à part entière et aussi représenter une alternative à la mode, même pour les non végétariens.

A la recherche de nouveaux clients

Si JDVB reste un peu cher pour certaines bourses, d’autres restaurants sont très accessibles. Easy House Vegetarian Cuisine, par exemple, peut satisfaire les clients à la recherche de nouvelles expériences culinaires. Le recours aux produits communément utilisés pour la cuisine végétarienne, comme le soja, reste limité, au profit de légumes et de fruits. C’est pour cette raison qu’Easy House utilise une grande variété d’herbes aromatiques avec toutes sortes de noix et de champignons pour créer ce qui est défini comme une « cuisine sans frontières ».

Easy House veut former les clients en matière de plaisirs culinaires pour développer leur compréhension de ce qu’est l’alimentation. Les clients ont le choix entre 18 plats principaux comme le pot-au-feu au lait et aux légumes, le riz sauté aux truffes, les légumes à la vanille et au romarin ou encore les nouilles taiwanaises aux champignons sauvages.

Tous ces plats ont été créés par Sam Hsu [許寬柏], un chef-cuisinier de renom qui a travaillé pour un restaurant très prestigieux et est maintenant le vice-président d’Easy House. Sam Hsu ignore volontairement les techniques traditionnelles de cuisine dans lesquelles les saveurs sont épaissies, les assaisonnements forts et gras.

« Nos clients peuvent goûter plus de quarante variétés de légumes, de noix ou de fruits en ne choisissant qu’un seul menu , explique encore Howard Hu [胡家濠], un co-propriétaire de Easy House. En général, les gens peuvent identifier deux types d’odeurs dans les restaurants végétariens traditionnels de Taiwan : le soja et les herbes chinoises. Nos plats représentent donc une expérience totalement nouvelle. »

Au début, Howard Hu pensait que personne ne dépenserait 300-450 dollars taiwanais pour un menu végétarien. Une étude approfondie du marché a permis de déterminer que les traiteurs végétariens à Taiwan se répartissaient en trois catégories : le buffet à l’occidentale, les petites cantines servant de simples plats populaires et les banquets généralement organisés à l’occasion de fêtes ou de célébrations religieuses.

Il y a 4 ans, il décida de s’attaquer au segment des restaurants à prix moyens, persuadé qu’il y avait là un marché, ouvrant avec Huang Chiong-Ying [黃瓊瑩] Easy House, le premier établissement de la chaîne qui en compte aujourd’hui 7.

« Environ 80% de nos clients sont des végétariens occasionnels, déclare-t-il. Je pense que le potentiel du marché de la cuisine végétarienne est important tant que le marketing vise au-delà de la pratique religieuse. Avec l’ouverture de nouveaux établissements, les clients développent une nouvelle manière de concevoir la cuisine végétarienne. »

Il considère celle-ci comme un choix diététique parmi d’autres et pense qu’on ne devrait pas uniquement y voir une démarche éthique ou religieuse. Si c’est bon, les gens y viendront naturellement.

Un corps sain, cela compte aussi

Howard Hu, qui a longtemps travaillé dans l’industrie du fast -food, a aussi su répondre à l’attente des jeunes. « Des clients qui avaient plutôt le profil de clients de Burger King ou de TGI Friday ont commencé à venir à Easy House, raconte-t-il. Pour les jeunes, s’essayer à un nouveau style de cuisine fait partie de la dernière mode, c’est chic. »

Il est possible que ce ne soit que très éphémère mais Howard Hu considère que les Taiwanais sont de plus en plus conscients de la nécessité de faire attention à leur santé, grâce notamment à la cuisine végétarienne.

Bien qu’Easy House importe un grand nombre d’ingrédients comme le curry, les graines de lotus, les noix, les truffes ou le romarin, les plats sont toujours préparés pour exprimer un style taiwanais.

« Nous avons été sollicités par des hommes d’affaires indiens et américains à la recherche de chaînes de restaurants à franchiser. Préparés à l’étranger, nos plats prennent nécessairement un accent local, et nous n’oublions pas d’en informer nos clients, particulièrement les Américains ! » , dit en souriant Howard Hu.

C’est aussi la facilité d’approvisionnement en une grande variété de fruits et de légumes de saison qui contribue à la fraîcheur et à la diversité de la cuisine végétarienne à Taiwan.

L’intérêt croissant du public pour les questions liées à la santé et à la protection de l’environnement mais surtout les préoccupations d’ordre diététique supposent que des quantités toujours plus importantes d’aliments organiques soient produites. Même les grands groupes industriels, comme Formosa Plastics, s’intéressent au marché des légumes organiques. Le ministère de l’Agriculture, conscient de cette nouvelle tendance de fond, l’encourage pour que cette production se développe. A l’heure actuelle, elle compte pour seulement 1% de toute la production agricole.

Plus que les prix, c’est la créativité et la qualité qui attire vers la cuisine végétarienne. N’oublions pas que le plaisir du palais restera toujours une condition non négociable ! ■

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